Traduit
de l'espéranto par Ginette Martin avec les conseils de Paul Signoret
M. Happy et M. Sunny travaillent
dans la centrale nucléaire n°1 de Fukushima. Ils écrivent
régulièrement dans leur twitter depuis le début de l'accident
nucléaire. 88 000 personnes ont suivi Happy et 23 000 ont suivi
Sunny. Il y a peu de temps, Happy a publié le livre "Journal
du travail de réparation dans la centrale nucléaire n°1 de
Fukushima."
Leur conversation
se trouvait dans l'édition du dimanche du journal Akahata (le 1er
décembre 2013). L`article a été traduit.
En une
heure de travail, des ouvriers peuvent dépasser la limite du maximum
annuel d’irradiation
Question
: Où étiez-vous lorsque
l'accident nucléaire a eu lieu ?
Happy
: À ce moment-là, j’étais dans l'enceinte d'un réacteur. Alors
que je travaillais dans le réacteur n°3, j'ai senti une énorme
poussée telle que je n’en avais jamais ressentie de semblable
auparavant. On a entendu un grand fracas causé par la chute de
débris au plafond. J'ai pensé que j'allais bientôt mourir ....
Sunny
: Moi aussi, j'étais dans la
centrale nucléaire n°1. Les voies étaient fissurées et les murs
des bâtiments endommagés. De gros morceaux de béton de couleur
bleue ont été propulsés un peu partout. Nous avions peur d'eux,
car cette couleur est celle des détritus hautement radioactifs.
Question : J'ai entendu
dire que la radioactivité est encore forte et qu'il est difficile de
travailler là-bas.
Happy
: Dans le réacteur n°4, ils ont
commencé à extraire des combustibles nucléaires usés, mais pour
trois autres réacteurs, ils n'ont pas de plan. On ne sait pas dans
quel état sont ces produits nucléaires qui ont fondu.
Sunny :
C’est surtout devant le réacteur n°3 que la radioactivité est
intense, car à l'intérieur s’est produite une fusion de
combustible MOX, un mélange de plutonium et d'uranium. Immédiatement
après l'accident des travailleurs ont été exposés à 70
millisieverts de radioactivité pendant 3 jours.
Happy :
À chaque entrée dans le réacteur n°3, un ouvrier s’expose à
1,5 millisievert de radioactivité. La limite supérieure
d’exposition pour le commun des mortels étant de 1 millisievert
par an, il dépasse donc cette limite au bout de trente minutes ou
une heure de travail. Nous portons un masque et des vêtements de
protection recouvrant entièrement le visage et le corps, de sorte
que nous avons très chaud. En été, nous ne pouvons pas travailler
plus d'une heure.
Sunny :
Quand il pleut, des gouttelettes giclent du toit du réacteur et
polluent notre corps. Certains endroits sont particulièrement
pollués. Autour des tubes de ventilation, il y a tant de
radioactivité que les gens pourraient y mourir. Ces tubes sont
endommagés par le tremblement de terre, mais leur trop forte
radioactivité interdit que l’on s’en approche. Nos
propositions sont rejetées par TEPCO ou sont remises à plus tard.
Question
: Quelles sont les causes de
divers problèmes rencontrés tels que panne d'électricité et fuite
d'eau contaminée ?
Happy :
Dans les centrales nucléaires n°1 de nombreuses installations sont
provisoires. Vous vous souvenez de la panne d'électricité de 30
heures causée par les rats. Les bornes de connexion auraient dû
être recouvertes, or celle-ci était nue. Sur le site vivent de gros
rats et des serpents.
Sunny :
Nous proposons que les conduites d'eau, à travers lesquelles
s'écoule l'eau contaminée, soient en métal, mais TEPCO tarde à le
faire, disant qu'il n'y a pas d'argent pour cela. Ces tuyaux ont été
installés immédiatement après l'accident, donc si enchevêtrés
qu'on ne sait pas à quoi ils sont reliés. Si une fuite se produit
la nuit, on ne peut pas en connaître la cause.
Happy :
Même de jour, on ne peut pas. Nous savons tous que les installations
provisoires sont dangereuses, alors nous proposons à TEPCO une
amélioration, mais TEPCO comprime le budget, même pour ces
installations temporaires. On n’examine pas les choses d’assez
près, donc tout se délabrera et il pourra s’ensuivre des
accidents irréparables. Si la compagnie TEPCO a l'intention
d'utiliser ces installations et ces dispositifs pendant plus de 10
ans, elle doit construire non pas du temporaire, mais du durable.
Sunny :
TEPCO fait accélérer le travail, donc la qualité diminue. Lorsque
nous avons construit ALPS (un appareil capable d’extraire toutes
les substances radioactives sauf une) (1), le travail a été mortel.
TEPCO et le gouvernement nous font nous hâter, donc nous avons
accumulé les heures supplémentaires. C’est dans un tel contexte
que s’est produit un très simple ratage, à savoir l'oubli d'un
tapis en caoutchouc dans le système.
Happy :
Depuis le début, TEPCO pensait que, si ALPS commençait à
fonctionner, il n'aurait pas besoin de réservoirs pour l'eau
contaminée, de sorte qu'il n'était pas prêt à continuer de
construire des réservoirs. Mais le fonctionnement de ALPS n’a pas
été conforme au plan, donc TEPCO a dû construire beaucoup de
réservoirs en peu de temps, ce qui a rendu le travail de
construction terriblement hâtif. Le
manque de travailleurs expérimentés a pour conséquence le manque
de formation des nouveaux.
Question : J'ai entendu
dire qu'on manque de main-d’œuvre à la centrale.
Sunny :
Il est interdit de travailler isolément dans la centrale, mais un
jour l'un des employés de TEPCO transportait seul de l'eau polluée
et il a provoqué un accident.
Happy :
Il manque surtout des travailleurs expérimentés, qui puissent
guider un groupe. C'est le problème le plus grave, je pense. Bien
sûr, auparavant il y avait aussi des nouveaux qui travaillaient,
mais ils étaient guidés par des travailleurs expérimentés.
Maintenant un chef de groupe a la responsabilité de 10 hommes, alors
qu'il ne devrait s’occuper au plus que de cinq. Il doit leur
montrer sur place (sur le lieu même du travail) et directement ce
qu'ils doivent faire, or maintenant il fait cela seulement sur le
papier, ce qui entraîne des bêtises chez les nouveaux.
Sunny : C’est
la loi qui définit la quantité maximum d’irradiation à laquelle
peut être exposé un travailleur. Les travailleurs expérimentés
sont plus exposés, donc déjà un grand nombre d'entre eux ne peut
plus travailler à la centrale.
Happy :
Je ne pourrai plus continuer à travailler dans la 4ème ou 5ème
année qui suivra mon embauche. De nombreuses entreprises ont décidé
de leur propre chef de porter la limite d'exposition à 20
millisieverts. Lorsqu'un travailleur dépasse cette limite pendant le
premier mois de son engagement, il ne peut plus travailler pendant
les onze mois suivants. Voilà pourquoi les travailleurs expérimentés
vont à une autre centrale plus sûre, ou bien ils se font embaucher
pour le nettoiement de la ville. Nous pensons tous que le travail de
réparation des réacteurs est important, mais nous tous devons
gagner notre vie. Si de nombreux réacteurs sont remis en marche dans
tout le Japon, on manquera de travailleurs à Fukushima, en
particulier de travailleurs expérimentés.
Sunny : Si
je dépasse la limite d’irradiation et suis licencié, personne
n’assurera mon existence. Si je tombe malade en raison de
l'irradiation au bout de quelques années, ni TEPCO, ni le
gouvernement ne me verseront une indemnité.
Happy
: Bien sûr, tu as raison. Ce qui
compte le plus pour nous, c’est le travail et la santé. Les
erreurs humaines sont fréquentes. La raison en est le manque de
travailleurs expérimentés. Ce qui est en cause, ce n’est pas la
qualité des ouvriers, mais la qualité de la gestion.
Question
: Le fait que le salaire
journalier et le salaire supplémentaire pour travail dangereux sont
trop bas ne pose-t-il pas un problème ?
Sunny :
Ces salaires varient selon les entreprises. J'ai entendu dire que
certaines paient seulement 100 yens (€ 0,8) ou 500 yens (4 euros)
par mois pour un travail dangereux (2). TEPCO a publié, qu'il paiera
de 10000 à 20000 yens, mais les sociétés sous-traitantes ne
suivent pas pour l'instant.
Happy :
Les gens qui travaillent dans des firmes situées au quatrième
échelon de sous-traitance gagnent en moyenne 10.000 yens (€ 78)
par jour. Après que le premier ministre Noda a déclaré la fin de
l'accident en décembre 2011, TEPCO a baissé les salaires,
prétextant que le travail n'était plus urgent.
Sunny :
Les tâches sont sous-traitées d’abord par TEPCO à des firmes
plus petites, qui à leur tour les sous-traitent à de plus petites,
qui à leur tour, etc… ce qui fait que la somme payée par TEPCO
pour les travaux dangereux ne va pas totalement aux travailleurs. Si
le gouvernement veut améliorer les conditions de travail, il doit
obliger TEPCO à payer directement les travailleurs.
Happy
: Oui, oui, tu as raison. Celles
qui recrutent des travailleurs, ce sont celles d'en bas, les très
petites entreprises avec quelques employés. Le travail de réparation
n'ira pas bien, si ces petites boîtes ne sont pas en bonne santé.
Question
: Le gouvernement dit qu'il fera
lui même les réparations, sans dépendre entièrement de TEPCO.
Happy :
À présent, il y a tellement de commandants qu’on ne saurait en
retenir le nombre : le Ministère de l'économie et de l'industrie,
l'Autorité de régulation nucléaire et ainsi de suite. Combien de
séances qui se déroulent à propos de l'eau contaminée? Qui est
responsable? J’appelle ça, pour rire, un monstre à plusieurs
têtes.
Sunny :
L'accident n'a pas eu lieu dans les sessions, mais à Fukushima!
Happy
: J’ai commencé à bavarder
sur twitter afin que les gens soient informés de ce qui se passe à
la centrale. L'accident de Fukushima n'est pas terminé. Par
conséquent, le gouvernement n'aurait pas dû parler de remise en
route de réacteurs.
Sunny :
J'ai commencé à travailler ici après l'accident pour sauver mon
lieu de vie, Fukushima. Ici aussi c'est
toujours le chaos. Dans cette
situation, je ne comprends pas pourquoi le gouvernement veut exporter
des réacteurs nucléaires à l'étranger.
Happy et Sunny :
A la télévision apparaissent rarement des nouvelles de Fukushima,
et nous sommes souvent anxieux, parce que les gens ont déjà oublié
l'accident. Souvenez-vous qu'il y a des travailleurs qui s’emploient
de tout leur cœur à éviter un autre accident, une autre erreur.
Fin du texte.
Pour bien saisir l`ampleur du
désastre de Fukushima, il faut sortir la tête du sable. Le MOX est
très dangereux pour l`homme, mais il y a pire : Le CORIUM!
Le corium est la matière des six extrêmes : il est
extrêmement puissant, extrêmement toxique, extrêmement radioactif,
extrêmement chaud, extrêmement dense et extrêmement corrosif.
Le
corium contient un nombre important d’éléments en fusion,
interagissant entre eux sans cesse, et produisant des gaz et des
aérosols. C’est la toxicité de ces émanations qui est
problématique, car les particules émises sont extrêmement fines,
invisibles à l’œil nu et, en suspension dans l’air, peuvent se
déplacer avec les vents jusqu’à faire le tour de la terre.
Le corium émet
tellement de radioactivité que personne ne peut s’en approcher
sans décéder dans les secondes qui suivent.
Corium : c’est le mot tabou de Tepco, la compagnie Japonaise qui gère la centrale nucléaire. Pourquoi l’entreprise responsable de la plus grande catastrophe nucléaire au monde n’en parle jamais ? Tout simplement parce que c’est la matière la plus dangereuse jamais créée par l’homme, une sorte de magma incontrôlable et ingérable, aux conséquences incommensurables.
Alors étant
Invisible, Incolore et Inodore, pourquoi la Tepco devrait-elle
alarmer la population ? Comment avertir les habitants de
l`hémisphère Nord que si ce Corium s`échappait dans l`atmosphère,
cette partie du globe pourrait devenir inhabitable pour une très
longue période? Vous comprenez maintenant que le moins est dit,
mieux c`est pour ne pas déclencher un CHAOS GLOBAL !
Chapeau à ces
braves gens qui, au risque de leur vie, travaillent à Fukushima pour
espérer arrêter ce désastre… si ce n`est pas trop tard ! -
Benoit Godin