Les internautes chinois se démènent pour faire circuler, malgré la censure, l'interview d'une médecin sanctionnée pour avoir informé ses collègues du danger du virus.
Elle s’appelle Ai Fen et la fatigue creuse ses traits au-dessus de son masque. L'interview de cette médecin chevronnée, publiée mardi dans le magazine chinois People, est venue gâcher la débauche d’autocongrulation du Parti communiste face à la baisse des contaminations au Covid-19 en Chine. Ai Fen est la patronne du service des urgences de l’Hôpital central de Wuhan, situé à quelques kilomètres du marché aux poissons considéré comme l’épicentre de l’épidémie. Le 30 décembre vers midi, elle prend connaissance du résultat d’analyses d'un des nombreux patients hospitalisés depuis trois semaines avec une infection pulmonaire inconnue. «Coronavirus du Sras», conclut le laboratoire pékinois, qui a cru reconnaître le syndrome respiratoire aigu sévère apparu en Chine en 2003, qui avait fait 800 morts dans le monde et déclenché une modernisation du système de santé chinois. Ai Wen prévient immédiatement le département de contrôle des maladies infectieuses, et sonne l’alarme auprès des chefs de service sur la circulation d’un virus inconnu et inquiétant.
Ai Fen fait une capture d’écran du rapport du labo, entoure le terme «Sras» en rouge et la fait suivre à une collègue, qui la fait circuler. Li Wenliang, un jeune ophtalmologue de l’hôpital, poste l’image sur un groupe de messagerie d'amis médecins en les exhortant à se protéger, d'autant que le patient dit ne pas avoir fréquenté le marché aux poissons. Dans les heures qui suivent, Ai Fen est «sévèrement réprimandée» par le bureau disciplinaire de l’hôpital, qui l'accuse d'«avoir nui à la stabilité». «On m’a demandé de n’en parler à personne, même pas à mon mari. J’avais l’impression que, à moi toute seule, j’avais ruiné l’avenir de Wuhan. J’étais désespérée», confie-t-elle au magazine. «On dit que je suis une lanceuse d’alerte, mais je n’ai fait que mon travail.» Comme sept autres médecins, Li Wenliang est sanctionné, puis convoqué par la police pour divulgation de «fausses rumeurs».
Rapports modifiés
Le lendemain, le gouvernement chinois alerte l’OMS sur le fait qu’un virus proche du Sras a émergé. Le 1er janvier, Ai Fen reçoit un directeur d’un petit centre de santé qui a très certainement été contaminé par ses patients. Mais pendant encore trois longues semaines, Wuhan, grande ville universitaire et industrielle du centre de la Chine, est laissée dans l’ignorance. L'information est censurée, aucune mesure de protection n'est conseillée. Selon les témoignages recueillis par Caixin, un autre journal chinois, «le responsable du Parti en charge de l’hôpital ne comprenait pas vraiment ce qu’est une maladie infectieuse et avait interdit aux médecins de faire circuler les informations de santé publique sensibles». Dans le monde bureaucratique communiste, où règnent la peur de la punition et le mensonge, des consignes sont données pour qu’aucun cas de Covid ne soit enregistré durant la tenue de deux réunions du Parti communiste, du 12 au 17 janvier, «pour ne pas gâcher l’ambiance», ironisait alors auprès de Libération une journaliste locale.
Toujours selon Caixin, l’hôpital central reçoit même l’ordre de maquiller des rapports. De son côté, Ai Fen affirme que sur le dossier médical d’une infirmière tombée malade, le mot «pneumonie virale» a été remplacé par «infections». Jusqu’au 20 janvier, la transmission interhumaine est niée par les autorités. Seuls les patients qui ont fréquenté le marché aux poissons sont traités comme malades du Covid, les autres affluent dans les hôpitaux généraux, sans procédure particulière.
Début mars, les urgences de l’Hôpital central, où se sont pressés jusqu’à 1500 malades par jour, a retrouvé son rythme habituel lorsque le reporter de People, journal respecté publié par une maison d’édition d’Etat, rencontre Ai Fen. Mais le bilan est lourd pour l’équipe. Plus de 200 soignants ont été contaminés, quatre sont morts, plusieurs sont dans un état grave. Ai Fen voudrait remonter le temps: «Si mes collègues avaient été prévenus plus tôt, ils ne seraient pas morts. Si j’avais su comment l’épidémie allait évoluer, je serais passée outre la réprimande. J’en aurais parlé partout.»
Morse, émojis et martien
Le 10 mars, le nombre de nouvelles contaminations en Chine est en très forte baisse, alors que l'épidémie se répand dans le reste du monde. Le président Xi Jinping se rend à Wuhan pour la première fois, déjà proclamé vainqueur de la «guerre du peuple» contre le virus. Alors que la propagande d’Etat se démène pour vanter la supériorité de la réponse chinoise et effacer les graves erreurs des premières semaines, la confession d’Ai Fen fait tache. People, qui faisait sa une sur «Les docteurs de Wuhan», est interdit. Les internautes chinois entament alors une course de vitesse pour contourner la très puissante cyberpolice. L’article circule sur les réseaux sociaux grâce à des captures d’écran des pages, ou avec un faux titre en anglais, ou encore en pinyin, une transcription du mandarin en alphabet latin, ou truffé de fautes. Les censeurs les suppriment aussi. Alors, des versions tournent en morse, en émojis et en n’importe quelle langue que les lecteurs passeront dans un logiciel de traduction. Certains poussent le jeu jusqu’à le coder mathématiquement, ou le traduire en «martien», un langage de geeks chinois datant des débuts d'Internet.
Trois jours après, il semble que les censeurs ont gagné la bataille. Lorsque Li Wenliang, le collègue d’Ai Fen, est mort du virus le 6 février, un rare vent de colère avait soufflé sur les réseaux sociaux, avec le mot d’ordre : «On veut la liberté d’expression.» Le pouvoir avait mis cinq heures à éteindre l’incendie, puis avait récupéré la figure du jeune médecin pour en faire un héros national. Ai Fen, elle, est bien vivante. Et elle parle.
Source: liberation.fr
.... Encore une preuve des mensonges des dirigeants, donc les véritables chiffres ne seront jamais connus ....
Il y a un mois, Macron annonçait que tout allait bien en France et Trump faisait de même aux USA. Aujourd'hui c'est le Canada qui dit ce refrain. Regardez les positions France et USA actuellement et que sera le Canada....ou autre pays .... dans 2 semaines. Il faut agir MAINTENANT! - Benoit Godin
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